Et pourquoi pas Vierzon ?
On prédisait un sommeil sans réveil à ce moulin abandonné. Erreur, rien n’est jamais écrit d’avance. C’est ici que Julie Béal invente sa vie, entre famille, photographie, graphisme et potager.
Vierzon, un petit Détroit à la française ?
De Vierzon, sous-préfecture du Cher, on connaît la fameuse chanson de Jacques Brel, mal aimée ou mal comprise des Vierzonnais (les avis divergent, le débat reste ouvert). Mais aussi, une prospérité économique conjuguée à l’imparfait et un positionnement central sur la tristement célèbre “diagonale du vide”. Là où résonnent dans les médias les mots “dépeuplement”, “zones blanches”, “déserts médicaux” et autres “fermetures d’écoles”. Déprimant ? Pas pour tout le monde.
Çà et là, des initiatives germent. Un fleuron de la French Tech a choisi d’y installer son ambassade et créer de l’emploi, d’autres réouvrent les boutiques du centre ville ou se lancent dans la réhabilitation de friches industrielles. Des signaux encore faibles pour certains, les prémices d’un réel bourgeonnement pour d’autres. Vierzon sera-t-il un petit Détroit à la française, résiliente et créative après la casse de la désindustrialisation ? Julie Béal fait partie de ces jeunes pousses impliquées qui voient dans ce coin du Berry un champ des possibles où, prix bas de l’immobilier aidant, tout est à (re)construire, à (ré)inventer.
Petit budget, grandes possiblités.
Après une enfance et un début de vie professionnelle à Lille, puis quelques années parisiennes, cette graphiste-photographe freelance vit aujourd’hui dans un moulin, ancienne usine de pâte à porcelaine, aux côtés de son compagnon Benoit, travaillant lui-aussi comme indépendant. Un changement de cadre pas aussi radical qu’il n’y paraît, mais opéré, au contraire, “par palier” assure-t-elle. Les deux premières années, le couple s’y installe pour l’été commençant à rénover à son rythme ce bout de patrimoine vierzonnais qui, à son âge d’or, employait jusqu’à deux cents personnes. En août 2015, une question en forme de choix de vie se pose au moment de reboucler leurs valises : “Et si on ne rentrait pas ? Et si on s’installait à Vierzon ?” Julie attend alors sa deuxième fille. Ils sautent le pas. Fini Paris, à eux le Berry.
Aux beaux jours, on entre dans le moulin comme… dans un moulin justement ! Les amis vont et viennent, on prend le temps, on voit nos enfants grandir ensemble.
Julie Béal
Le chantier est titanesque. Les bâtiments sommeillent depuis la fermeture définitive de la fabrique en 2003. “Étant donné que nous réalisons tout nous-mêmes, pour des raisons de budget mais aussi pour vivre à fond cette aventure un peu dingue, il faut accepter d’évoluer dans un perpétuel chantier. Ce ne sera jamais totalement fini, rien ne sera vraiment parfait. L’expérience t’apprend la patience, le lâcher-prise.”
Dans les ateliers, les imposantes machines semblent se tenir prêtes à redémarrer, les étagères sont encore remplies de pâte pétrie. La maison de maître, qui abritait autrefois la vie bourgeoise du directeur du moulin, est également restée dans son jus… et le restera encore un moment. “Pour nous, il est essentiel de ne pas dénaturer les lieux, on aime ce côté figé dans le temps, les peintures craquelées sur les murs nous racontent une histoire.” Dans la salle où dorment les grands pressoirs à pâte, Julie tient d’ailleurs à nous préciser en riant qu’elle a interdit qu’on touche à la poussière. “Cette pièce est belle comme ça, pas besoin d’intervenir.”
Cultiver ses jardins.
Jusqu’ici Julie jonglait pour ses clients entre le graphisme et la photographie. En arrivant à Vierzon, le grand terrain en friche du moulin fait éclore l’envie d’un potager. “Si cela peut décomplexer les débutants, je n’y connaissais rien mais alors rien du tout, j’ai appris par moi-même, sans pression, en prenant mon temps (…) Cultiver mon jardin m’apporte une sérénité insoupçonnée, j’adore me lever aux aurores, avaler mon petit-déjeuner et filer au potager avant de m’installer derrière mon ordinateur.”
Dans la lumière du petit matin, les pieds dans la rosée sur les coups de six heures, cette lève-tôt dit se sentir extrêmement privilégiée. Au moulin, la jeune femme s’octroie le droit d’aménager son temps de femme, de mère et de freelance comme elle l’entend. “J’ai conscience que tout cela est possible parce que je travaille à distance, en autonomie.” Le télétravail pourrait-il repeupler la grande diagonale du vide ? Nous sommes nombreux à non seulement l’espérer mais aussi à y croire. Depuis bientôt quatre ans, Julie développe également son activité auprès d’une clientèle locale proche du terroir et des produits naturels.
Au jardin, la jeune femme se passionne au fil des saisons pour le processus végétal, des semis à la récolte (elle participe d’ailleurs en ce moment à la création d’une grainothèque avec des amis d’une commune voisine). Aux côtés de ses courgettes, tomates, haricots, les fleurs occupent désormais une place de choix. “Une fois la maîtrise du jardin vivrier acquise, j’ai eu envie d’aller plus loin, de cultiver des fleurs. J’ai démarré par les variétés comestibles, de quoi agrémenter les plats d’été et puis j’ai rencontré une dame qui s’était consacrée à l’art floral et aux fleurs séchées pendant dix ans. Elle m’a, quelque part, transmis le flambeau, je continue l’histoire.”
On le surnomme “le moulin de l’abricot”. Non parce qu’il produisait des fruits mais en référence à la couleur orangée dont se chargeait l’eau du moulin avec les mélanges de terres nécessaires à la fabrication de la pâte à porcelaine.
Julie Béal
C’est dans l’ancienne serre du moulin que ses récoltes florales sèchent la tête à l’envers, dansant au gré du vent, changeant de nuances lorsque le soleil traverse les verrières et embaumant la pièce de leur parfums mélangés. “C’est mon endroit à moi, mon petit théâtre, je les mets en scène, j’expérimente.” Composer des bouquets ne l’intéresse pas. “Ce qui m’amuse c’est justement de sortir la fleur séchée de son imagerie champêtre, qu’elle s’invite dans un univers plus design.”
Avec ses fleurs, Julie imagine des mobiles minimalistes ou des fioles multicolores à exposer sur son bureau ou une étagère. Une activité démarrée comme un loisir, un temps pour soi, dit-elle, qui a suscité spontanément l’enthousiasme des amoureux de jardins. Ses créations se sont invitées dernièrement dans la boutique du très couru festival des jardins de Chaumont-sur-Loire. “Je veux avancer à l’instinct, avec sincérité, de toute façon, je ne saurais pas me marketer.”
De l’autre côté du moulin, on aperçoit derrière une rangée d’arbre deux chevaux qui profitent de la fin de l’été. Ils appartiennent au voisin. Il y a encore un hectare en friche derrière la maison. “On s’en occupera plus tard. Avant, dans notre petit appartement, on comptait en mètres carrés, aujourd’hui c’est en hectares !”
Retrouvez Julie Béal sur Instagram et son site web. Et pour voir toutes ses créations autour des fleurs séchées, rendez-vous sur Les Cueillettes.
Texte : Laurence Guilloud. Visuels : Fabrice Le Dantec.
Pour en savoir plus sur Les Petites Routes, rendez-vous ici.
Absolument sublime ce reportage. Un rêve de vie pour moi qui ai passé toutes mes vacances dans la ferme de mes grands parents au sud de Poitiers dans la Vienne lorsque j’etais Enfant. Ça laisse des traces indélébiles. Je retrouve plein de souvenirs sur vos photos et sur celles de Julie Beal. Merci à vous et à Julie.
Catherine
Merci pour ces gentils mots !
.Je connais cette endroit magnifique, je l’ai visité récemment ce moulin, et là je me retrouve sur votre blog par hasard (Mathieu blas) et je revoie en photo se que j’avais vue. Mais je ne connaissait pas du tout votre travail d’artiste tout aussi magnifique. Merci pour votre investissement à Vierzon.
Pierre de Vierzon. et du quartier.
Magnifique portrait de Julie. Le texte et les photos me plaisent énormément. C’est un beau cadeau que vous lui faites! Belle continuation à vous…
Merci beaucoup Marie-Soleil.
Très inspirant dans un moment de transition lente de Paris vers un ailleurs plus calme en France. J’ai hâte de lire de nouveaux articles. C’est toujours un plaisir de retrouver vos textes fins.