Les nouveaux nomades

Leur camion de pompier vintage ne passe jamais inaperçu. C’est dans ce véhicule rouge vif, qui ferait pâlir n’importe quel amateur de Playmobil, qu’Alizée et Yoann tracent leur route et s’inventent un nouveau mode de vie. Une histoire qui s’écrit en mouvement. 

Tout quitter pour… sillonner les routes d’Europe à bord d’un ancien camion de pompier autrichien aménagé en nid douillet avec de l’huile de coude et beaucoup d’ingéniosité. Il y a deux ans et demi, Alizée et Yoann rendent les clefs de leur appartement en ville pour tenter cette aventure pas si folle qu’elle pourrait en avoir l’air.

Des années de réflexion auront été nécessaires puis, une fois décidés, encore six mois pour peaufiner ce saut dans l’inconnu. Loin d’un coup de tête, donc. “On a démarré ce périple sans pression. Cela faisait longtemps que nous aspirions à un autre mode de vie, à la recherche de l’autonomie. À un moment, tu ressens la nécessité de mettre en adéquation ce que tu fais avec ce que tu penses. On s’est lancés en gardant toujours à l’esprit que si au bout de trois mois cela ne nous plaisait finalement pas, ce ne serait pas un drame. Partir en s’imaginant qu’il sera impossible de faire machine arrière, c’est le meilleur moyen de se planter”, analysent-ils avec le recul.

Notre camion de pompier date de 1986. Il appartenait à la caserne du petit village autrichien de Hart bei Graz. On s’est promis d’y aller un jour et avec un peu de chance on tombera sur un ancien pompier du coin qui l’a conduit !

Alizée

Dans leur ancienne existence citadine, Alizée était coloriste dans une agence d’architecture et Yoann designer produit freelance dispensant des cours en low-technologies. Tous deux partageaient le goût du bricolage et de la débrouille. Leur philosophie de vie ? Fais-le toi-même ! C’est d’ailleurs la base des low-tech : s’affranchir au maximum des hautes technologies pour fabriquer soi-même ses propres objets à partir de pièces détachées, recyclées ou de composants ultra basiques. Une manière de tourner définitivement le dos au tout jetable et à l’obsolescence programmée. Une façon aussi de se réapproprier sa capacité d’entreprendre, au sens premier du terme.

“En île-de-France, une partie de mon job consistait à animer des ateliers de sensibilisation aux low-technologies, notamment auprès des enfants et plus particulièrement de jeunes en échec scolaire. Autour de la fabrication, il y a une belle émulation. Quand ils découvrent qu’ils peuvent réparer un truc de A à Z ou fabriquer un banc, la satisfaction est immédiate, ils reprennent confiance. Et puis quand tu commences à fabriquer, tu te découvres un pouvoir que tu ne soupçonnais pas, tu te sens no limit”, résume Yoann dans un sourire. “Cette expérience d’enseignement, nous la proposons désormais en version nomade, loin des villes en intervenant par exemple dans les écoles, pendant des événements ou tout autre lieu souhaitant mener des actions de sensibilisation aux low-tech.”

Au-delà de l’aspect écologique, le Do It Yourself et les low-tech ont clairement un intérêt économique. Et puis c’est une sacrée satisfaction personnelle de ne pas se sentir obligé de forcément passer par la case “achat”. Tu te dis : “ok, je peux me débrouiller tout seul”.

Yoann

À l’intérieur du camion, l’aménagement est bluffant. L’essentiel est là, le confort aussi. Un petit poêle à bois aide à réchauffer les soirées d’hiver et des panneaux solaires installés sur le toit leur permettent d’atteindre l’autonomie. L’unique petit luxe ? Une grande baie vitrée pour admirer le paysage au format 16/9. “C’était ma seule exigence” confie Alizée. “Au début, Yoann m’a dit que ce serait compliqué.” Mais impossible ne figure définitivement pas dans le lexique du bricoleur.

Photos : Alizée et Yoann – Wild Human Life.

On voulait un vieux camion avec une mécanique simple et hyper costaude. On n’y connaissait rien, on a tout appris. Quand tu as une panne avec un véhicule neuf, ça te coûte tout de suite une fortune. Là, quand il y a un problème, on met les mains dans le cambouis pour repartir. Et jusqu’à maintenant ça a marché.

Alizée & Yoann

Au volant de leur camion, le couple souhaite participer à l’essor de cette discipline des low-tech qui souffre encore, selon eux, d’un déficit d’image auprès du grand public. Ensemble ils ont fondé Chemins de Faire, un atelier de design nomade et compact qui tient dans leur remorque rouge pompier. Leur “boîte à outils géante” comme ils l’appellent. Une fois ouverte, surprise, elle se transforme en un vrai atelier pouvant accueillir jusqu’à 10 personnes.

Chaque centimètre de la remorque est optimisé. C’est le royaume du sur-mesure, du bien-pensé. Marteaux, scies, étaux, boulons, tournevis, boîtes à outils,… Alizée et Yoann peuvent presque tout faire en condition de nomadisme. A l’avant, une petite quincaillerie à l’ancienne. A l’arrière, une table de travail qui une fois dépliée se transforme en atelier de campagne.

Lorsque nous les rencontrons, Alizée et Yoann s’apprêtent à reprendre la route. Durant ces deux dernières années, ils ont sillonné l’Espagne, la Suède et la Norvège. En 2020, c’est en France que vous les croiserez peut-être. Sur les petites routes exclusivement. “Notre pointe de vitesse c’est 90 km/h grand maximum alors on évite les autoroutes.” Quand ils débarquent dans un village, la sympathie est immédiate. “Un camion de pompier rétro, ça suscite de la curiosité, les conversations s’engagent naturellement. Dans un véhicule passe-partout ce serait très différent.”

Au rayon quincaillerie, on trouve de tout, ou presque.

On ne se sent pas spécialement appartenir à une communauté de nouveaux nomades mais sur les routes nous rencontrons beaucoup de gens qui ont fait le choix, comme nous, de vivre autrement.

Alizée

Vivre dans un camion t’amène à repenser ton rapport à ta consommation d’eau, d’électricité et de nourriture. Tu te poses la seule question qui compte : de quoi ai-je vraiment besoin ? Le fait d’être rationné en terme d’espace et d’énergie te force à aller à l’essentiel.

Yoann

Comment voient-ils l’avenir ? En semi-sédentaire, loin des villes. “Notre but est maintenant de trouver un terrain pour y construire une petite maison autonome.” Une étape indispensable à leurs yeux. “Lorsque les médias parlent de ce mode de vie, ils ne présentent que le côté idyllique, sous l’angle des nouveaux nomades qui décident de rompre avec la vie citadine. C’est vrai, c’est une expérience très riche, très épanouissante mais il ne faut pas oublier de dire que nous sommes très bridés par la législation. Tu n’as pas le droit, par exemple d’aménager ton camion comme tu veux. Les normes sont très strictes, cela peut vite devenir un petit enfer. Tout est organisé pour que tu achètes un van neuf sans te poser de question.” Entre deux périples, le duo recharge pour le moment ses batteries en Bourgogne dans la maison du grand-père de Yoann du côté du joli village d’Annay-sur-Serein.

Parmi leurs nombreux projets sur le feu, le couple compte également collecter la parole et les gestes des artisans au savoir-faire menacé. “En France, il y a énormément d’artisans en âge de partir à la retraite et derniers détenteurs d’une technique. Ils se désolent de n’avoir personne à qui transmettre leur savoir. C’est quand même rageant de se dire qu’en cent ans nous avons vu mourir des gestes que l’homme a parfois mis 1000 ans à peaufiner. Une fois ces personnes disparues, il faudra tout réapprendre.” Leur idée est de mettre sur pied, avec d’autres acteurs et contributeurs, une encyclopédie libre, accessible à tous, des savoir-faire techniques et de l’outillage artisanal, pour qu’aucun savoir-faire et savoir-penser ne disparaisse sans laisser de trace.

Avant de reprendre la route, Yoann, finalise la conception d’une machine multiusage fabriquée sur la base d’une antique table de couturière Singer, une machine un peu magique fonctionnant à l’énergie musculaire qu’il faudra caser dans la remorque. Sur cette “machine musculaire” (c’est son nom), Yoann peut changer le plateau technique en fonction des besoins du moment. Une scie pour couper, une meule pour aiguiser un couteau. Une vraie machine plug and play. En actionnant le pédalier, par le jeu des engrenages et de la force d’inertie, la petite meule portative tourne comme si elle était propulsée par un moteur électrique. À écouter Yoann, la machine musculaire serait (assez) simple à fabriquer, ne nécessitant qu’un peu d’habileté et des pièces de vélo recyclées. Et sans doute pas mal d’essais et de ratés pour un débutant, non ? Mais c’est aussi l’une des vertus des low-tech, se redonner confiance en soi en essayant, en se trompant, démontant et recommençant sans se stresser… jusqu’à ce que ça marche.

Pour suivre les aventure d’Alizée et Yoann, on vous conseille d’aller faire un tour sur leur Instagram. Et pour découvrir leur démarche plus en détail, rendez-vous sur leur site.

Texte : Laurence Guilloud. Photos : Fabrice Le Dantec.
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Les Petites Routes est une agence de communication éditoriale à taille humaine et d'humeur champêtre. Nous publions ici notre carnet de voyage hexagonal pour partager nos coups de coeur et nos rencontres avec celles et ceux qui, loin des grands axes, osent entreprendre et se réinventer.

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